Conges Payes : Attention Aux Nouvelles Regles en Vigueur
Par une série d’arrêts du 13 septembre dernier, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence important sur l’incidence de la suspension du contrat de travail pour maladie, accident du travail ou congé parental sur les droits à congés payés, écartant les dispositions du code du travail au profit des dispositions européennes.
Désormais :
- les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ;1
- en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congés payés ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ;2
- la prescription du droit à congés payés, habituellement de trois ans, ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile ;3
- les droits à congés payés ne sont pas « perdus » par la prise d’un congé parental ; ainsi les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail.4
Ce faisant, la Cour de cassation s’appuie sur les dispositions du droit européen, plus protecteur des intérêts des salariés, et tend à « garantir une meilleure effectivité des droits des salariés à leur congé payé ».
Ces arrêts ont trouvé application immédiate auprès des juges du fond : par deux arrêts en date du 27 septembre 20235 et 12 octobre 20236, la Cour d’appel de Paris s’est alignée sur la position de la Cour de cassation.
En effet, la Cour d’appel de Paris s’est basée sur le droit européen et la jurisprudence européenne en rappelant que ces derniers n'opèrent « aucune distinction entre les salariés absents en raison d'un congé maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé » et que, dès lors, « un État membre ne peut pas subordonner le droit au congé annuel payé à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence » pour considérer que :
- la salariée en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle avait droit à des congés payés pour la période durant laquelle elle a été en arrêt de travail, condamnant l’employeur au paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés sur plus de trois ans, pour un montant de 6.000 euros ;7
- la salariée qui a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises au cours de sa relation de travail a droit à un rappel d'indemnité de congés payés pour ces périodes d’arrêt, condamnant l’employeur au paiement d’une indemnité de plus de 7.000 euros.8
Quelles conséquences pratiques pour les entreprises ?
La série d’arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation laisse planer de nombreuses incertitudes quant aux conséquences pratiques de ces décisions pour les entreprises.
Faut-il régulariser les situations en cours ? Qu’en est-il des salariés en arrêt depuis plusieurs années ? Et des salariés ayant quitté l’entreprise ? La Cour de cassation est venue affirmer que, à défaut de diligences permettant aux salariés de prendre les congés payés, la prescription n’a pas commencé à courir pour les congés payés acquis au titre des périodes de maladie passées. Quelles sont ces diligences et à partir de quand faut-il remonter ? Comment articuler le délai de prescription de trois ans avec ces arrêts ?
Jean-Guy Huglo, Doyen de la Chambre Sociale de la Cour de cassation, semble considérer que les salariés pourraient revendiquer des congés au titre des arrêts maladie depuis le 1 décembre 2009, date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui a donné une force normative contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cela signifierait que, dans certains cas, les salariés pourraient solliciter un rappel de salaire sur près de 14 ans !
Une lecture plus conservatrice des arrêts reviendrait-elle à considérer qu’il faut appliquer ces nouvelles règles à compter de la date de ces arrêts, soit à compter du 13 septembre 2023 ?
Au regard de ce qui précède, des précisions sont attendues y compris au sujet des limites de report dans le temps des congés payés, la jurisprudence européenne permettant aux dispositions nationales de limiter à une période de report spécifique le droit au congé annuel (15 mois en l’espèce)9. Le Gouvernement ainsi que les branches professionnelles doivent s’emparer du sujet afin de remédier aux difficultés d’adaptation pratiques pour les entreprises.
Dans l’intervalle, ce qui est certain, c’est que :
- les entreprises ne peuvent désormais plus invoquer les dispositions du code du travail (ni attendre sa modification) pour refuser à un salarié en arrêt de travail l’acquisition de congés payés sans prendre le risque d’une condamnation en justice ;
- les entreprises doivent entamer un état des lieux des arrêts de travail visant à étudier le coût du rattrapage éventuel et provisionner au mieux afin de répondre aux éventuelles sollicitations des salariés.
Les conséquences de la nouvelle position de la Cour de cassation en matière de congés payés restent donc à clarifier ; le débat est loin d’être terminé.